Face aux évolutions de la relation au travail y-a-t-il un risque à voir régresser le salariat ? De passer d’une relation « employeur-employé » à une relation « client-fournisseur » ; ou de voir émerger des formes hybrides, qui mêlent salariat et entreprenariat. Ces formes, subies pour les populations les plus précaires qui doivent cumuler plusieurs sources de revenus, sont pour les populations les plus éduquées source d’un nouvel épanouissement.
Ainsi, les slashers, que Larousse définit comme « Personne, généralement issue de la génération Y, qui exerce plusieurs emplois et/ou activités à la fois » représentaient en 2016[1] environ 16 % de la population active en France, soit plus de 4,5 millions de personnes. En 2022[2], ils sont 6 millions : un quart des actifs occupés ! Et parmi eux, 62 % le font d’abord par choix.
Le slashing apparait comme l’incarnation d’une forme d’idéal de vie professionnelle sur-mesure qui permet de satisfaire besoins financiers et épanouissement personnel, mais représente aussi un nouveau défi pour l’entreprise.
Associant salariat et entrepreneuriat, plus de 6 millions de personnes sont aujourd’hui slashers en exerçant deux activités, la deuxième étant souvent marginale en temps et en revenus (moins de 5 heures par semaine pour 36% et moins de 300 euros/mois pour 46%). Mais cette fenêtre sur l’entrepreneuriat, motivée à 67% par la recherche de revenu supplémentaire, permet aussi à 29% de monétiser un hobby ou une passion et « apporte aussi de la liberté professionnelle, qui pourrait de plus en plus susciter l’envie de se mettre à son compte en activité principale[3] ».
Les chiffres du travail indépendant sont pour le moment encore faibles mais en croissance. En France[4], 11,6% de la population active en 2017 et 12,6% en 2021 sont des indépendants. 2022 a été une année record pour la création d’entreprise[5] (1072000 créations, +2,1% vs 2021) avec 40% des créateurs qui ont moins de 30 ans. La création d’entreprise est une envie forte chez les jeunes[6] avec 47% des 18-30 qui souhaiteraient « sauter le pas » vs 26% pour l’ensemble de la population.
En Suisse, le travail indépendant est moins développé qu’en France (6,9% de la population active en 2021, vs 12,6% en France) et le slashing concernerait 7% des actifs[7]. Un taux de chômage très bas (2%) assorti d’une satisfaction au travail très élevée (41% des travailleurs attribuent la note 9/10 ou 10/10 à leurs conditions de travail[8] ) pourrait expliquer ce décalage. Toutefois les motivations et les bénéfices que retirent les slashers de leurs activités sont analogues dans les deux pays[9].
Être slasher est-ce une nouvelle liberté ou une pragmatique adaptation à la réalité d’un monde qui change chaque jour ? Le sociologue Jean Viard nous apporte sa vision13 : « On devient slasher à la fois pour des raisons de sens donné à sa vie et pour des questions d’argent.». «Aujourd’hui, avoir plusieurs activités est plutôt considéré comme une forme d’élégance, voire d’intelligence. Ainsi, celui qui n’a pas complètement choisi ce mode de vie professionnelle va, petit à petit, se la raconter comme une liberté. »
Pour aller plus loin :
https://www.femina.ch/societe/actu-societe/comment-la-generation-slash-jongle-avec-ses-jobs
Profession slasher de Marielle Barbe aux éditions Marabout
[1] https://www.pole-emploi.fr/actualites/bien-dans-mon-quotidien/page.html
[2] https://comarketing-news.fr/etude-6-millions-de-francais-sont-des-slashers
[3] https://comarketing-news.fr/etude-6-millions-de-francais-sont-des-slashers
[5] https://tool-advisor.fr/blog/chiffres-creation-entreprise-france/#retenir
[6] https://etudiant.lefigaro.fr/article/emploi-un-jeune-sur-deux-dit-avoir-envie-de-creer-son-entreprise_2e45d58c-8f16-11ec-90fa-661da1828997/
[7] https://www.hrtoday.ch/fr/article/tu-travailles-ou-tu-slashes-
[8] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/situation-economique-sociale-population/bien-etre-pauvrete/bien-etre-subjectif-et-conditions-de-vie
[9] https://www.femina.ch/societe/actu-societe/comment-la-generation-slash-jongle-avec-ses-jobs