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Entretien avec Michel Sapin, Associé au sein du cabinet Franklin et ancien Ministre de l'Économie et des Finances

Entretien avec Michel Sapin, Associé au sein du cabinet Franklin et ancien Ministre de l'Économie et des Finances

Maire, député, conseiller général, président de conseil régional et plusieurs fois ministres sous trois Présidents de la République différents, Michel Sapin a connu une des carrières les plus riches de la vie politique française récente. A l’origine de deux lois éponymes au service de la lutte contre la corruption, il répond à nos questions sur son parcours et sa vie d’avocat, aujourd’hui associé au sein du cabinet d’avocats d’affaires indépendant Franklin.

Diplômé de Sciences Po, de l’ENS et de l’ENA (dans la fameuse promotion Voltaire), vous avez commencé votre carrière professionnelle dans la magistrature avant de devenir parle­mentaire, ministre et d’exercer aujourd’hui en tant qu’avocat. Est-ce qu’il y a un fil rouge à ce parcours ?

Michel Sapin. A posteriori, il est évident que le fil rouge de ma carrière a toujours été de vouloir servir l’intérêt général. Les notions de service public, de bien public m’ont toujours animé et ont été au cœur de ma vie et de mon action.

Initialement, je souhaitais être historien et ar­chéologue puis j’ai voulu être professeur d’uni­versité, d’où l’ENS, toujours au service de la transmission d’un savoir commun.

Cette volonté était également bien présente lorsque j’étais magistrat, au service du bien public, de l’intérêt général et de la justice au sens global du terme.

Puis vint rapidement le temps de la politique au service de la collectivité, en tant que maire, conseiller général, président de région, député puis ministre.

Désormais, en tant qu’avocat, la défense de mon client est évidemment la priorité, cependant j’essaie toujours de voir comment peuvent se rejoindre l’intérêt général et l’intérêt particulier de mon client. Comme j’ai la liberté de pouvoir choisir mes dossiers, il est essentiel pour moi de parvenir à concilier ces deux valeurs clés.

Si ce n’est pas toujours chose aisée, certaines circonstances impliquant des compromis, j’ai toujours fait en sorte de garder ce fil rouge du service de l’intérêt général dans l’ensemble des différentes fonctions occupées, qui ont toutes été passionnantes.

 

Deux lois portent votre nom. Peut-on revenir sur leur genèse ?

M.S. La genèse de ces deux lois est très diffé­rente mais l’objectif est le même : la probité publique. A noter que ces deux lois sont transpartisanes, d’où leur solidité. J’ai une vraie passion pour la chose publique et pour la res­ponsabilité publique. De ce fait, j’ai toujours été très heurté à chaque fois que quelqu’un manquait à cette probité. Surtout je suis blessé par l’image globale qu’on peut parfois porter sur les acteurs publics. Le « tous pourris » est pour moi insupportable car je sais que ce n‘est pas le cas. Un grand nombre de politiques donnent énormément d’eux-mêmes et leur mo­tivation n’est pas financière, une évidence compte tenu des rémunérations bien plus élevées dans le secteur privé.

Par conséquent, toutes les mesures susceptibles de lutter contre la réalité de la corruption natio­nale (Cf. loi Sapin 1) et internationale (Cf. loi Sapin 2) étaient pour moi absolument essen­tielles ! Pour autant, les contextes de mise en place de ces deux lois étaient bien différentes.

S’agissant de la loi Sapin 1 (« Loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procé­dures publiques »), le contexte était celui des affaires politico-financières, il en existe encore aujourd’hui, mais beaucoup moins que dans les années 1985-1995. Les campagnes électorales de plus en plus coûteuses étaient alors largement financées par la corruption en l’absence de règlementation adaptée au financement des partis et des campagnes. A cette époque, tous les partis étaient concernés : la gauche, les centristes, la droite.

La Loi Sapin 1 est alors venue compléter une première loi dite Rocard de 1990 clarifiant le financement des activités politiques.

Certaines entreprises - qui ont changé de noms depuis - n’étaient évidemment pas mes alliés. Elles n’étaient pas favorables au projet car je les gênais, or à l’époque la corruption était très répandue, dans le monde de la publicité par exemple. Mais la publicité négative étant parfois aussi efficace que la publicité positive, les campagnes orchestrées par ces groupes des médias réfractaires à la loi Sapin 1 ont paradoxalement aidé à sa création !

La loi Sapin 2 (« Loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie éco­nomique ») avait certes le même objectif mais elle a été abordée différemment. A partir des années 2012-2014, ce sont les entreprises qui estimaient que le système ne pouvait conti­nuer ainsi. En effet ces grands groupes perdaient des marchés internationaux. Par exemple, certaines entreprises étaient parfois exclues de de marchés de la Banque mondiale car le socle français n’était pas suffi­samment efficace en termes de lutte contre la corruption.

Il convient de se rappeler que jusque dans les années 1997-2000, il y avait encore le « bureau des bakchichs » à Bercy que les entreprises appelaient le « confessionnal ». Il se nichait au sein de la DREE (Direction des Relations Economiques Extérieures) qui pouvait valider de telles opérations de corruption. La priorité était alors de favoriser la conclusion d’importants marchés à l’international, de préserver l’emploi et in fine de maintenir l’influence de la France dans certains pays.

Lorsque la loi Sapin 2 est parue à la fin 2016, aucune entreprise française n’avait encore été condamnée pour des faits de corruption à l’international (i.e. pour la corrup­tion d’agents publics étrangers à l’étranger) alors que dans le même temps 13 d’entre elles étaient poursuivies aux États-Unis et durent payer des amendes considérables. Il y a notam­ment eu les groupes Alstom, Technip et Total qui ont été concernés.

Ces jugements d’entreprises françaises à l’étranger et cette extra-territorialité américaine était insupportable en termes de souveraineté. J’ai donc engagé le dialogue avec des organisa­tions et entreprises françaises comme l’AFEP, le MEDEF, Engie et Total, dont la très grande majorité des dirigeants me disaient : « On est derrière vous ! ».

 

Vous avez également consulté les autorités anglaises et américaines pour préparer cette future loi Sapin 2 et notamment la CJIP…

M.S. Evidemment, je suis allé consulter préala­blement les autorités britanniques ainsi que les américains avec leur fameux FCPA qui remonte à 1977. Même si notre réglementation est aujourd'hui très différente du système américain, leur expérience était très utile.

D’ailleurs, cette rencontre avec les autorités américaines a été édifiante et m’a convaincu de la nécessité impérieuse de changer notre corpus législatif : alors que le DOJ américain et son adjoint me reçoivent, je leur demande la raison de leur grande sévérité à l’égard des entreprises françaises. L’adjoint me répond tout de go avec son fort accent texan : “You don’t do the job, so I do it.” Quand vous entendez cela, vous vous rendez compte qu’il y a un vrai problème !

Il ne faut pas oublier également qu’un autre enjeu majeur était la protection du secret des affaires pour nos entreprises. Par exemple, une procédure contre Airbus aux Etats-Unis aurait été très risquée ; il est évident que Boeing aurait sans doute eu accès à des informations clés. Sur le plan de la protection du secret des affaires, on mettait nos entreprises en péril à ne rien faire.

 

Quelle est l’origine de la création de cette fameuse CJIP, introduite par la loi Sapin 2 ?

M.S. Des dispositifs de justice négociée existaient déjà en droit français avant la loi Sapin 2. Mais avec cette loi, nous avons pu élargir progressivement le système pour les personnes morales pour les faits de corruption, le trafic d’influence, le blanchiment de fraude fiscale, ce qu’on appelle la grande fraude fiscale (avec en parallèle la réforme du verrou de Bercy), puis pour les délits environnementaux.

Des raisons d’efficacité ont conduit à cette réforme. Il fallait faire bouger les lignes tout en prenant garde à ne pas étendre son champ d’ap­plication à tous les domaines.

Avant la CJIP, bien souvent les procédures ju­diciaire n’aboutissaient pas ou seulement après de longues années. S’agissant de Total par exemple - qui a été condamné in fine - il a fallu attendre plus de 20 ans ! Ce n’était pas sérieux…Cette quasi impunité s’expliquait pas la grande difficulté à apporter la preuve du pacte de cor­ruption dans ces affaires. D’où l’intérêt de ce système transactionnel.

Et pour l’entreprise, c’est également dans son intérêt de ne pas trainer pendant des années une affaire de corruption. Dans le cas contraire, elle risque de ne pouvoir soumissionner ce qui peut entrainer de très lourdes conséquences sur sa santé économique.

 

Un autre apport de la Loi Sapin 2 a été de protéger davantage les lanceurs d’alerte. Faut-il aller plus loin en les rémunérant comme certains le proposent ?

M.S. Certains statuts épars existaient dans le domaine de la santé publique, le domaine fiscal etc. Avec la Loi Sapin 2 un vrai statut global de lanceur d’alerte été créé, modifié depuis par une directive européenne. Tout d’abord, la loi a permis une protection du lanceur d’alerte, une interdiction de toute discrimination à leur encontre et même une pénalisation en cas d’éventuelle discrimi­nation avérée. Cette protection implique notamment l’anonymat.

Les dispositifs d’alertes doivent protéger l’anonymat du lanceur d’alerte ainsi que celui de la personne éventuellement visée par ce lanceur d’alerte. Il est primordial pour moi de protéger le lanceur d’alerte prenant de vrais risques pour tenter de mettre en lumière, ce qu’il considère de bonne foi constituer une atteinte grave à l’intérêt général.

Pour protéger le statut du lanceur d’alerte, il faut également éviter tout abus, c’est primordial. Pour cette raison, la loi et la directive précisent que l’action du lanceur d’alerte doit être désintéressée. Le lanceur d’alerte ne doit évidemment pas utiliser son statut protecteur pour régler ses comptes et ne doit  pas être rémunéré.

 

Contrairement aux Etats-Unis par exemple…

M.S. En effet. Mais même si certains sont favorables à la rémunération des lanceurs d’alerte, pour moi, il faut protéger cette question du désin­téressement au risque d’un dévoiement du mécanisme et de la dévalo­risation de ce statut de lanceur d’alerte. J’y suis très attentif.

 

Fin 2021, a été évoquée une proposition de loi Sapin 3… Qu’en avez-vous pensé ?

En octobre 2021, une proposition de loi - impro­prement nommée Sapin 3 - a été déposée par le député Raphaël Gauvain. Mais, si les in­tentions étaient bonnes, l’avis communément partagé par les spécialistes était qu’il ne fallait surtout pas toucher au récent mécanisme. Alors que la France s’était dotée d’un outil efficace et redevenait crédible sur la scène internationale dans la lutte contre la corruption, un nouveau changement aurait été interprété par nos homologues étrangers comme une sorte de recul, la proposition prévoyant notamment la suppression de l’AFA.

 

Après une telle carrière en politique, comment avez-vous abordé cette nouvelle vie d’avocat ? Quels types de dossiers traitez-vous ?

M.S. Après la politique, mon souhait a été d’utiliser mon expérience et mon expertise juridique autrement. Très naturellement j’ai choisi de devenir avocat. Quand on a été magistrat et qu’on a contribué en tant que parle­mentaire et ministre à l’élaboration de lois, la transition est logique.

J’ai eu la chance d’avoir la vie professionnelle et politique que je souhaitais. Ce parcours a été riche et très épanouissant. Mon parcours de maire, puis député et ministre m’a rendu très heureux, en aucun cas je n’ai été aigri faute d’avoir atteint mon objectif comme certains qui ont arrêté la politique brutalement. J’ai eu le sentiment d’avoir pu apporter tout ce que je pouvais à la collectivité et pour ma part, je n’ai jamais eu envie d’être Président de la République et encore moins Premier ministre !

Quant au choix du cabinet, le cabinet Franklin - dont je suis désormais associé - est un cabinet d’affaires 100% français et 100% internatio­nal et me permet d’exercer dans les meilleures conditions mon activité.

En effet, au quotidien, j’ai une importante activité liée à la conformité mais pas unique­ment. J’accompagne et conseille également des gouvernements étrangers sur le plan juridique par exemple dans l’élaboration de textes contre la corruption, dans la renégociation de leur dette etc. Je travaille avec presque tous les associés du cabinet sur leurs dossiers ou des dossiers que j’apporte moi-même.

Evidemment, j’accompagne aussi des entre­prises dans la mise en œuvre des nouvelles dispositions sur les dispositifs d’alerte, lors de contrôles de l’AFA et plus généralement en droit pénal des affaires.

 

Quels conseils donneriez à de jeunes magistrats, avocats, juristes ou compliance officer ?

M.S. Je pense qu’avoir une carrière non linéaire est un atout. Par exemple, pour les magistrats, les fonctionnaires, faire un passage dans le secteur privé peut apporter beaucoup, l’international également.

Certains ont une vision sacralisée selon laquelle en tant que fonctionnaire, on ne doit pas passer par le secteur privé. Je ne partage pas du tout cette idée. D’ailleurs il faudrait selon moi que cette expé­rience dans le secteur privé soit valorisée dans une carrière de magistrat ou plus généralement dans la fonction admi­nistrative.

Magistrat, avocat, directeur juridique ou direc­teur de la conformité en entreprise sont des fonctions qui font partie d’une même famille.  Avoir plusieurs carrières, occuper plusieurs fonctions, enrichit votre parcours et même les fonctions que vous occupez.

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