Le 1er octobre dernier, le président de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara a annoncé une forte hausse du prix du cacao payé aux producteurs ivoiriens, marquant un retour aux prix de 2015. Cette hausse s’inscrit dans la prime dénommée « différentiel de revenu décent » (DRD), négociée depuis 2019 par la Côte d’Ivoire et son voisin ghanéen, en vue d’améliorer les revenus des planteurs de cacao. Cette décision, saluée par la population, est cependant jugée encore insuffisante.
Le cacao, une ressource stratégique
En Côte d’Ivoire, la profession de planteur est « sacrée ». Le cacao, en représentant 10% à 15% du PIB et près de 40% des recettes d’exportation du pays, occupe une place centrale dans l’économie ivoirienne. Au-delà de l’aspect économique, le cacao dispose également d’une place centrale dans la société ivoirienne : selon la Banque mondiale, cinq à six millions d’ivoiriens vivent du cacao. Malgré l’importance de l’« Or brun » pour les pays africains producteurs, ces derniers peinent à tirer profit de cette ressource et à s’imposer dans les négociations internationales, contrairement aux États pétroliers qui parviennent à influencer les prix du baril. Cela s’explique notamment par le fait que les pays producteurs de cacao restent, de manière générale, des producteurs de matières brutes et n’exportent que la fève de cacao, sans contrôle sur le déroulement et la transformation du produit. Face à ce constat, la Côte d’Ivoire et le Ghana, les deux principaux producteurs mondiaux de cacao, ont décidé de s’unir et de faire « front commun », suite à la baisse considérable des cours mondiaux du cacao en 2017.
Entente historique entre Yamoussoukro et Accra
La Côte d’Ivoire et le Ghana représentent à eux seuls deux tiers du cacao mondial : 40% du cacao mondial provient de Côte d’Ivoire et 20% du Ghana. En 2019, ils sont parvenus à négocier ensemble la prime DRD auprès de multinationales telles que Nestlé. Cette prime de 400 dollars (224 francs CFA, soit environ 340€) par tonne de cacao s’est traduite par une hausse de plus de 20% du prix payé aux producteurs de cacao ivoiriens et ghanéens pour la récolte 2020-2021, soit le prix du kilo à 1000 francs CFA (1,52€) contre 825 francs CFA en 2019 (1,26€).
Devenus partenaires dans cette « guerre du cacao », les deux États ont même aligné leurs prix, une première depuis des années entre ces deux pays originellement rivaux dans ce secteur. Malgré ces efforts communs, les prix établis par « The ICE », le marché mondial du cacao, restent bloqués sous la barre des 3 000 dollars la tonne depuis maintenant plus de quatre ans. Le cacao est un « produit spéculatif », ce qui signifie que son cours est « en partie déconnecté de l’économie réelle » : chaque année, l’équivalent de 30 fois la production mondiale est échangée sur les bourses.
Une offre supérieure à la demande
Le cacao est « victime » d’une « offre excédentaire ». Deux fois inférieur à son prix dans les années 1960, le prix actuel du cacao est attractif pour les acheteurs mais insuffisant pour les producteurs mondiaux, qui ne perçoivent que 6 % des 100 milliards de dollars par an que pèse le marché du cacao et du chocolat. Ce marché est en effet considéré comme la « chasse gardée » des industriels, leaders du secteur. Cependant, ces derniers ont publiquement affiché leur soutien à la prime DRD, à l’heure où les consommateurs désirent des produits plus éthiques, avec des processus de production et de fabrication plus respectueux de l’environnement et où les producteurs soient mieux valorisés.
Malgré cela, l’alliance entre la Côte d’Ivoire et le Ghana se retrouve confronter à plusieurs obstacles : premièrement, cette « offre excédentaire ». La quantité de cacao produite par an n’est pas adaptée à la demande. Ainsi, la récolte mondiale de cacao est excédentaire une année sur deux depuis vingt ans, ce qui profite alors aux acheteurs, qui négocient des prix plus bas. Deuxièmement, le cacao étant un produit « fragile et périssable », il doit bénéficier de conditions de stockage strictes, que les producteurs ne peuvent assurer en raison de leurs coûts élevées et d’un manque de capacités de stockage près des terrains de production.
La prime DRD : une « utopie » ?
Certains analystes et experts économiques estiment que la prime DRD ne perdurerait pas au-delà de la récolte 2020-2021. En effet, l’alliance du Ghana et de la Côte d’Ivoire ne permettrait pas de peser sur les prix fixés par l’offre et la demande. Une « OPEP du cacao » semble ainsi peu probable. Il existe cependant une organisation regroupant les principaux États producteurs de cacao, l’Alliance des pays producteurs de cacao « Copal », créée en 1962, mais qui n’est jamais parvenue à s’imposer sur le marché mondial.
Cette hausse du prix du kilo s’avère également insuffisante pour les producteurs de cacao, qui restent « pauvres ». Pour la Côte d’Ivoire, l’objectif est « d'augmenter sa part de valeur ajoutée dans la filière cacaoyère » car aujourd’hui, elle ne transforme qu’un quart de sa production annuelle de fève de cacao en chocolats et en pâtes de cacao. Pour pallier cela, A. Ouattara a notamment annoncé en septembre 2020, la construction de deux nouvelles usines de transformation du cacao dans les ports d’Abidjan et de San Pedro. Deux entrepôts de stockage d’une capacité totale de 300 000 tonnes ainsi qu’un centre de formation aux métiers du cacao devraient être également développés.
Selon les prévisions de l’Organisation internationale du cacao, la récolte de cacao 2020-2021 devrait être similaire à celle de 2019, avec 2,1 millions de tonnes. La pandémie de la Covid-19 a cependant grandement affectée la consommation mondiale de cacao, ce qui a induit une baisse des prix au kilo sur le marché mondial. En outre, depuis le début du mois d’octobre, les exportateurs de cacao ivoiriens ont stoppé leurs achats sur les contrats pour la prochaine saison de production, en raison de leurs incertitudes face à la crise sanitaire sur le marché mondial du cacao.
Sitographie
« Cacao : la Côte d’Ivoire et le Ghana peinent à augmenter leur part du gâteau », Le Monde avec AFP, Le Monde, publié le 15/10/2020
« Cacao ivoirien : les exportateurs veulent un rabais sur les taxes », par Olivier Rogez, RFI, publié le 27/10/2020
« Côte d'Ivoire : le cacao s'invite dans la présidentielle », Le Point Afrique, Le Point, publié le 04/10/2020
« En Côte d’Ivoire, forte hausse du prix du cacao avant la présidentielle », Le Monde avec AFP, Le Monde, publié le 02/10/2020
« La Côte d’Ivoire lance la construction de deux nouvelles usines de transformation du cacao », Le Monde avec AFP, Le Monde, publié le 23/09/2020